Le film Lawrence d’Arabie, réalisé par David Lean en 1962,
s’inspire de la vie de Thomas Edward Lawrence, dont le rôle est interprété par
Peter O’Toole.
Dans son livre Les sept piliers de la sagesse,
Thomas Edward Lawrence raconte l’expérience qu’il lui a été donné de vivre en
participant à la Grande révolte arabe de 1916 à 1918.
« Dans ces
pages, le récit n’est pas celui du mouvement arabe, mais de moi dans celui-ci.
C’est une narration de la vie quotidienne, d’évènements mineurs, de petites
gens. Il n’y a pas là de leçons pour le monde, pas de révélations qui bouleversent
les peuples. Elle est emplie de choses banales, en partie pour que personne ne
prenne pour de l’Histoire les os dont peut-être un jour quelqu’un fera de l’Histoire,
et en partie pour le plaisir que j’ai eu à évoquer la camaraderie de la
révolte. Nous étions ensemble pleins d’amour, à cause de l’élan des espaces
ouverts, du goût des grands vents, du soleil et des espoirs dans lesquels nous
travaillions. La fraîcheur matinale du monde à naître nous soûlait. Nous étions
agités d’idées inexprimables et vaporeuses, mais qui valaient qu’on combatte
pour elles. Nous avons vécu beaucoup de vies dans le tourbillon de ces
campagnes, ne nous épargnant jamais ; pourtant, quand nous eûmes réussi et
que l’aube du nouveau monde commença à poindre, les vieillards revinrent et s’emparèrent
de notre victoire pour la refaire à l’image de l’ancien monde qu’ils
connaissaient. La jeunesse pouvait vaincre, mais n’avait pas appris à
conserver, et était pitoyablement faible devant l’âge. Nous balbutions que nous
avions travaillé pour un nouveau ciel et une nouvelle terre, et ils nous ont
remerciés gentiment et ont fait leur paix.
Tous les hommes
rêvent, mais inégalement. Ceux qui rêvent la nuit dans les recoins poussiéreux
de leur esprit s’éveillent au jour pour découvrir que ce n’était que vanité ;
mais les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur
rêve les yeux ouverts. C’est ce que j’ai fait. Je voulais créer une nouvelle
nation, restaurer une influence disparue, donner à vingt millions de sémites
les fondations sur lesquelles bâtir, de leurs pensées nationales, un palais de
rêve inspiré. Un but si élevé en appelait à la noblesse intrinsèque de leur
esprit, et leur fit prendre une part généreuse aux évènements ; mais quand
nous eûmes vaincu, on retint contre moi le fait que les revenus britanniques du
pétrole de Mésopotamie étaient devenus incertains, et que la politique
coloniale française au Levant était en ruine. (…)
Le Cabinet avait
amené les Arabes à combattre pour nous grâce à des promesses catégoriques de
gouvernement indépendant par la suite. Les Arabes croient aux personnes, pas
aux institutions. Ils voyaient en moi un agent libre du gouvernement anglais et
exigeaient de moi une confirmation de ses promesses écrites. Aussi ai-je du me
joindre au complot et, pour ce que valait ma parole, j’ai promis aux hommes
leur récompense. Pendant les deux ans de notre camaraderie sous le feu, ils s’habituèrent
de plus en plus à me croire et à penser que mon gouvernement, comme moi, était
sincère. Ils accomplirent dans cet espoir quelques grandes choses mais, bien sûr,
au lieu d’être fier de ce que nous faisions ensemble, j’étais continuellement
et amèrement honteux.
Thomas Edward Lawrence, Sir Herbert Samuel et l'Emir Abdullah - Amman, 1921 |
Il était évident,
dès le début que, si nous gagnions la guerre, ces promesses resteraient lettre
morte et, eussé-je été un honnête conseiller des Arabes, je leur aurais suggéré
de rentrer chez eux et de ne pas risquer leur vie en combattant ainsi ;
mais je me sauvais moi-même par l’espoir qu’en menant follement ces Arabes à la
victoire finale je les établirais, les armes à la main, dans une position à tel
point sûre (sinon dominante) que le sens de l’opportunité recommanderait aux
Grandes Puissances un règlement équitable de leurs revendications. En d’autres
termes, je présumais (ne voyant pas d’autre chef avec la volonté et la
puissance nécessaire) que je survivrais aux campagnes et que je serais capable
de vaincre non seulement les Turcs sur le champ de bataille, mais aussi mon
propre pays et ses alliés à la table de conférence. C’était une hypothèse
présomptueuse, et on ne peut encore savoir clairement si j’ai réussi :
mais il est certain que je n’avais pas l’ombre d’un droit d’engager à leur insu
les Arabes dans de tels dangers. J’ai pris le risque de la tromperie, sur ma
conviction que l’aide arabe était nécessaire à notre victoire rapide et peu coûteuse
en Orient, et qu’il valait mieux vaincre et rompre notre parole que perdre. »
Les sept piliers de
la sagesse, chapitre introductif
Edition Gallimard
Traduit de l’anglais
par Julien Deleuze
Carte de Thomas Edward Lawrence |
Lawrence, le retour !
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